lundi 23 février 2009

Acid Mothers Temple & the Melting Paraiso U.F.O. aux Mains d'Oeuvres de St Ouen, 19 novembre 2008 &" Cometary Orbital Drive"(bambalam.records)



Acid Mothers Temple & the Melting Paraiso U.F.O. aux Mains d'Oeuvres de St Ouen, 19 novembre 2008 &" Cometary Orbital Drive"CD & LP(bambalam.records)
Kawabata Makoto est un barde, un ermite médiéval catapulté dans le monde moderne. Il emmène depuis quinze ans ce qui semble définitivement être l'héritage le plus noble de la kosmische musik allemande des années 70. Acid Mothers Temple est né d'une communauté japonaise en 1995 dans l'idée sublime de recréer le cosmos en musique. Monsieur Makoto aime tripper dans le sens le plus pur du terme, sa raison d'être se trouve là-haut, au-delà des étoiles. Et si ses vinyles préférés l'ont emmené loin, ce n’était pas assez encore. Le Speed Guru Makoto décide alors de former sa propre machine à rêves.


Recrutant Higari Hiroshi comme joueur de moog et Dancin’King, et Cotton Casino comme chanteuse et réserve d’alcool, le groupe devient Acid Mothers Temple & The Melting Paraiso UFO et commence à enregistrer une musique extrême et parfaitement bruyante. Petits frères des Boredoms ou de Merzbow, leur premier album est une décharge électrique proprement hallucinante et épuisante. Celui-ci consiste en de nombreux collages de riffs tantôt aériens, piquant aux passages les plus calmes du Yeti de Amon Düül II, tantôt violents et proches d'un harshnoise à guitares. Les formations se transforment au gré des envies du Soul Collective, la communauté gravitant autour du groupe, et enregistrent, publient jusqu'à cinq albums par an. Certains ressemblent inévitablement à des jams interminables , mais d'autres rappellent le meilleur de Ash Ra Tempel, Amon Düül ou les collages expérimentaux de Stockhausen, usant avec talent de la transe répétitive. In C, sorti en 2001 chez Eclipse, est logiquement un hommage improbable au compositeur américain Terry Riley où une partition aérée en do majeur devient une cavalcade stellaire krautrock ! On trouve également des sommets du psychédélisme contemporain dans Mantra Of Love, édité par Alien8 en 2004, ou La Nòvia, par Swordfish en 2001, où Makoto nous présente son amour pour la musique traditionnelle et plus particulièrement celle des Pyrénées, la musique occitane. Reprenant des thèmes de la région, le groupe l'enrichit de leur groove rock unique, les transcendant complètement par des solos fascinants et infatigables. Makoto possède ce que l'on pourrait appeler une foi guitaristique. Comme il aime à le rappeler : "je ne fais que reproduire les sons que j'entends du cosmos". Il faut voir le prophète païen brandir son instrument comme une offrande au Dieu Rock, l'agiter par son vibrato, lui faire cracher les sons les plus extrêmes, les plus bruyants, les plus beaux.


C'est en 2004 après la parution d'une bonne vingtaine d'albums que le Melting Paraiso UFO fait une petite pause forcée par le départ de Cotton Casino, laissant le champ libre au dernier né du Soul Collective, le Cosmic Inferno. L'orientation est plus lourde et rock encore, le groupe s'augmente de Tabata Mitsuru des Boredoms à la basse à la place du génial Tsuyama Atsushi, et livre des albums en formes d'hommages au rock cosmique le plus lourd, de Hawkwind à Guru Guru en passant par Black Sabbath. Les potentiomètres sont certainement toujours dans le rouge, les oreilles de ces joyeux chevelus doivent siffler à jamais mais qu'importe, la puissance sonique coule définitivement dans leurs veines. Mais tout se complique en 2006 lorsque Makoto multiplie les projets : le Cosmic Inferno est définitivement lancé, le Melting Paraiso UFO reprend le chemin de la route et des studios, le barbu fonde Acid Mothers SWR avec Yoshida Tatsuya le batteur fou de Ruins, il se produit régulièrement avec Daevid Allen du groupe légendaire Gong sous le nom Acid Mothers Gong, pareillement avec Mani Neumeire de Guru Guru sous l’appellation Acid Mothers Guru, etc. Chacune de ces incarnations du Soul Collective ressemble à l’autre sans jamais être identique. La somme de toutes reflète la vision la plus fidèle de Makoto, mais ce sont bel et bien le Melting Paraiso UFO et le Cosmic Inferno qui s’approchent le plus du cosmos infini.


Et pour le toucher de nos propres doigts, il fallait être là le 19 novembre à Mains D'Oeuvres. Il faisait très froid en banlieue parisienne quand j'ai aperçu Makoto fumant une cigarette devant la salle. J'ai été rassuré, il avait toujours autant de cheveux qu'au concert donné à la Cité de la Musique il y a deux ans. Ces messieurs du Melting Paraiso UFO attendaient gentiment dans le salon chic de Mains-D'Oeuvres, prêts à vendre leurs nouveaux albums, Ces gens possèdent une aura, un charisme de vieux sages qu’on n’oserait approcher que pour leur annoncer quelque chose de fort et d’intense.
Stearica livre une première partie tout à fait convaincante. Si la musique instrumentale des trois italiens peut lasser sur disque par un manque de personnalité, sa puissance scénique paraît évidente : les breaks s'enchaînent, les larsens se multiplient, les frappes de batterie se font de plus en plus étouffantes, le groupe est présent. Le volume atteint un point de non-retour sonore et c'est sous des applaudissements nourris et mérités que Stearica quitte la scène.


De grands japonais en longues chemises amples en lin montent sur l'estrade. La scène est petite et c'est avec une excitation non dissimulée que l'on assiste à la mise en place de la cérémonie : Makoto branche ses pédales, Atsushi entame quelques gammes, le fidèle batteur Shimura Koji s’échauffe, Hiroshi fait vibrer le plafond avec son moog au volume indécent. Et c'est par le plus grand naturel que la balance se mue progressivement en une introduction au concert, les sons de synthétiseurs résonnent au-dessus de nos têtes et le groupe semble dans l’attente. Je ne peux pas dire ce qu'il s'est passé exactement si ce n'est qu'ils ont enchaîné brutalement deux titres ,en formes de déluges électriques et haletants. La batterie tapait vite, Makoto s'envolait déjà dans les hautes sphères de sa guitare. Acid Mothers Temple prouve d'entrée qu'il maîtrise son propos rock experimental.Acid Mothers Temple se plait visiblement à improviser ,très fort ,de longues plages instrumentales . Mais il faudra attendre l'immense Dark Stars In The Dazzling Sky pour palper les cieux. Il ne suffit que d'un riff, un riff de guitare en forme d'hymne psychédélique, sombre, classe à en mourir, pour voir s'agiter ces messagers d’un autre monde. Hiroshi, le dancin’king, s'agite avec souplesse, quitte le sol, balance ses bras, pointe des étoiles imaginaires au plafond, Makoto caresse sa guitare. Les frissons m'ont parcouru l'échine parce que j'ai commencé à sentir quelque chose. Cette espèce de force qui propulse chaque son de guitare dans notre inconscience la plus profonde, cette force qui oblige à danser, cette puissance qui force le trip. Enchaîné au morceau stoner Cosmic Soul Death Disco, la suite psychédélique s'arrête après une dizaine de minutes d’une puissance inégalée. Et c'est avec un gigantesque sourire que l'on découvre que ces héros sont humains, ils plaisantent, ils sourient, ils discutent, ils sont d'une gentillesse incroyable. Le bassiste démarre alors le thème de La Nòvia, dans un patois unique et étrange, mélange de chant diphonique et yaourt béarnais. Makoto et Hiroshi s'ajoutent pour former la chorale la plus inattendue de la soirée. Le thème s'arrête pour mieux être perverti : Makoto enclenche sa fuzz et bazarde le motif occitan avec la nonchalance rock'n'roll la plus cool qui soit. La batterie groove comme jamais et le medley avec La Le Lo devient évident. Il s'agira là du tube chanté d'Acid Mothers Temple, aux relents de musiques bretonnes, mais chahuté par la brutale ampleur sonore.
C'est avec la dernière suite que le concert prendra son envol définitif. Makoto improvise d’abord quelques arpèges et s’amuse avec le thème de The End des Doors, Atsushi délire et se prend pour une sorte de Jim Morrison fermier ! Mais s'il ne devait rester qu'une oeuvre d'Acid Mothers Temple, il s'agirait certainement de cette Pink Lady Lemonade qui suit l’épisode humoristique du concert. Ce morceau de bravoure "composé" par vision dans un temple bouddhiste par Makoto reprend l’harmonie stellaire de She Came Through The Chimney d'Amon Düül II en l’agrémentant d’élégants ornements. Deux accords arpégés et en route vers les étoiles ? C'est toujours difficile à croire mais c'est encore bel et bien ce qui s'est produit ce soir là. Difficile à croire aussi que tenir ces mêmes arpèges pendant dix minutes puisse produire autant de bien être sur nos corps envoûtés par le chant du cosmos. Et pourtant ! Une sensation de pureté, de lumière, de sublimation totale m'a envahi et c'est bien malgré moi que le morceau a évolué vers une folie psychédélique. C'est ce moment qu'a choisi Makoto pour brandir sa guitare pour lui faire chanter la bonne parole, Makoto n'attaque pas ses cordes, il abuse de son vibrato, sexuel ; son instrument laisse couler les mélodies les plus pures. L'émerveillement est à son comble, le volume est déjà trop fort, il plane dans des sphères que nous ne pensions jamais atteindre, quand Makoto enchaîne son hymne au cosmos suprême à sa nouvelle suite "Cometary Orbital Drive", véritable transe krautrock réduite ici à dix minutes. Les couches s'ajoutent, il n'y a pas de place pour des solos, chaque homme est une partie de la machine épuisante. Je remue dans tous les sens pour accompagner cette rafale. Makoto décide de conclure, il malmène sa guitare, il crache ses derniers larsens, fracasse son instrument, menace de lui briser le manche, fait tournoyer son câble : le bruit est à son paroxysme. Ce soir, Acid Mothers Temple est le rock.
Il est minuit, cela fait plus de deux heures que le groupe est monté sur scène et c'est avec un sourire sincère qu'il nous quitte. J'aimerais tellement que tout cela soit éternel. J'ai vécu là ce qui semble être l'expérience, le trip cosmique ultime. Ce que le rock a créé, Acid Mothers Temple le transcende.
Nous étions une bonne centaine à avoir été convertis au paradis extraterrestre ce soir-là. Les enregistrements du Soul Collective ne sont qu'une facette de cette porte vers les étoiles, et pourtant, leur dernier album en date, "Cometary Orbital Drive" semble être la preuve la plus fidèle de l’expérience Acid Mothers Temple. Édité par le label bordelais Bam Balam Records, associé au disquaire du même nom, l’album n’est qu’une longue suite fondée sur une séquence de six notes dont les bienfaits sont expliqués dans le livret : celle-ci ouvrirait les portes de l’inconscience et aurait été utilisée depuis l’antiquité à des fins rituelles et magiques. Hmmm, on pourrait rire à la lecture de telles promesses ésotériques, mais l’écoute de ces soixante-dix minutes sublimes remplacera aisément le rictus amusé par un sourire béat et frissonnant. La première partie Light My Fire Ball ressemble à une version moderne et groovy des transgressions électro-acoustiques de Can sur Augmn et Peking O. L’ambiance est celle d’un temple mystique et les incantations vaudoues lâchées par Atsushi ne sont pas sans rappeler la sauvagerie vocale de Damo Suzuki. Ce n’est qu’à la deuxième partie Planet Billions Of Light-Years Away que le thème des six fameuses notes (A-E-D-A-G-Db) s’installe. D’abord tranquille et nonchalant, puis tempo accélérant, de plus en plus puissant et effréné. La production est grandiose, à la fois noyée dans les couches de space guitares tout en restant parfaitement jouissive dans sa dynamique. Mais c’est bien Circular System 7777777, le troisième mouvement de cette symphonie pour riff céleste, qui apporte une certaine nouveauté chez Acid Mothers Temple. Il s’agit là d’un morceau de dance psychédélique, aux boîtes à rythmes usées mais génialement efficaces, aux cymbales inversées et aux breaks à tomber.La conclusion de Cometary Orbital Drive, la dernière partie Milky Way Star, est une perfection, une mise en musique du cyberespace, un trip rock intersidéral. Le tempo est haletant, les solos de Makoto sont plus beaux que jamais et c’est avec des frissons que l’on écoute ces treize minutes les plus dignes de la face A du premier Ash Ra Tempel. Le livret du disque ne mentait pas, ces six notes répétées inlassablement au cours du disque procurent des sensations puissamment lumineuses, d’une pureté krautrock à danser jusqu’à toucher les étoiles. Le meilleur album depuis Mantra Of Love ? Cometary Orbital Drive fait, en tout cas, partie de ces disques essentiels du Soul Collective, parmi ceux qui conjuguent avec talent riff stellaire jouissif, groove implacable, expérimentations inspirées et cosmos absolu.
Et tout de même, si vous écoutez Milky Way Star, n'oubliez pas de pousser le volume trop fort, c'est important. Vous pourriez peut-être toucher l'absolu du bout des doigts...
Duck Feeling

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